Parfois, lorsque l’obscurité a complètement recouvert notre campement et que le silence parvient enfin à s’imposer, je me surprend à regarder les étoiles. Ce soir, elles sont particulièrement nombreuses et illuminent le ciel d’une scintillante succession de points lumineux. Face à ce spectacle, mon esprit s’échappe et laisse mes pensées l’occuper. Je me revois à travers ces deux semaines intenses de vélo au cœur du Moyen et Haut Atlas, loin de tout, et pourtant, si près de l’essentiel. Je repense aussi à ce séjour à Marrakech qui vient de s’achever, lui qui aura été si surprenant mais au combien réjouissant. Au loin, je peux encore apercevoir l’horizon lumineux de cette ville si unique, si atypique. Je ferme les yeux et profite de l’instant présent, en espérant secrètement qu’il ne s’achève pas trop vite.
Dans la vie, il y a des moments qui marquent. J’ai l’intime pressentiment d’en vivre un, de franchir une épreuve qui peut me marquer à tout jamais. Certes, Dakar et le Sénégal sont encore loin, mais atteindre Marrakech n’est pas anodin. Pour moi, c’est une véritable fierté, et, surtout, le symbole que je peux me surprendre encore.
Ma grande révélation durant ce voyage est ma progression en vélo. Pour être honnête, je pense que j’étais le moins performant physiquement au départ. J’appréhendais un peu cet écart avec mes deux camarades, et, comme je le craignais, les premières semaines ont confirmé cette impression. Dans des conditions plutôt bonnes, tout allait très bien, on ne voyait pas de réelles différences, mais dès que la difficulté arrivait, que ce soit du vent ou du dénivelé, j’étais bien souvent largué. Chaque montée était pour moi un véritable supplice. Je les voyais partir loin devant, disparaître peu à peu, puis m’attendre pendant de longues minutes. J’avais peur de les frustrer, de les ralentir. Puis, petit à petit, mes sensations ont changées. J’arrivais peu à peu à me rapprocher d’eux et même parfois à grimper à leurs côtés. Je me suis mis à ne plus voir chaque montée comme un calvaire, j’ai repris confiance en moi. Et, finalement, le Maroc a été le symbole de ce renouveau. Pour la première fois, j’ai pris du plaisir à grimper. Je me suis surpris à enchaîner les cols relativement tranquillement, parfois à plus de 2000 mètres d’altitude ! Une belle victoire personnel dans cette aventure de groupe.
Revenons-en au groupe d’ailleurs, et à notre avancée qui se poursuit. Avant notre arrivée à Marrakech, nous avons enchaîner deux semaines de vélos assez intenses. En partant de Fès, nous avons gravis plusieurs cols dans le Moyen et Haut Atlas, parcourus des lignes droites interminables au beau milieu de paysages complètement désertiques, croisés d’innombrables camping-cars et bus touristiques ou encore traversés des vallées aux charmes époustouflants. Cette quinzaine à rouler nous a permis de découvrir d’autres facettes de ce pays qui ne cesse de nous surprendre.
Nous avons tout d’abord rencontrer ce Maroc qui rêve d’Europe en passant à Ifrane. Cette ville perchée à 1700 mètres d’altitude est la copie conforme de ce que pourrait être l’une de ses homologues suisses. Chalets alpins, rues parfaitement propres, restaurants de montagne, parcs verts avec un étang, forêts de cèdres et même une station de ski à proximité, tout y est ! Ce dépaysement n’a cependant pas suffit à nous convaincre de nous poser dans cette ville. C’est sympa à voir et ça vaut le coup de la traverser, mais sans plus.
Après cela, nous avons découvert le Maroc des montagnes et l’inévitable peuple berbère qui les habite. Accueillants et authentiques, ils n’hésitent pas à nous recevoir pour nous offrir un peu de réconfort et surtout nous raconter leur histoire. Anciennement nomade, ce peuple habitait déjà sur ce territoire avant l‘arrivée des Arabes et possède une très riche histoire. Composé de plusieurs tributs, leur activité historique était de faire du commerce à travers le désert et les montagnes d’Afrique du Nord. Aujourd’hui sédentaires, ils n’ont rien perdu de leur âme de marchand et gardent un profond amour pour leurs racines.
Nous avons aussi pu rencontrer le Maroc des petits villages perdus. Les enfants y sont très nombreux et le moins que l’on puisse dire, c’est que notre passage ne passe pas inaperçu pour eux. Dans le meilleur des cas, ils se mettent de par et d’autre de la route pour nous faire coucou ou nous taper dans la main, et, d’autres fois, ils nous demandent des friandises ou un peu d’argent. Au delà de ces brèves scènes de confrontations amicales, on se pose de nombreuses questions sur leur situation dans ces villages. Les routes et les infrastructures utiles aux touristes semblent souvent bien entretenues, mais il ne semble pas y avoir énormément d’investissement pour les enfants. Les activités dans des endroits aussi reculés ne semblent pas très nombreuses, et cela ne paraît pas forcément évident s’ils veulent faire de longues études dans les grandes villes.
Nous avons aussi vu les ravages que pouvait causer le tourisme de masse, avec des routes surfréquentées par des véhicules 4×4 fonçant à toute allure ou des énormes motos réveillant toute la vallée par le vrombissement de leur moteur. A chacun son style de voyage, il faut le respecter, mais être à vélo nous permet de nous rendre compte à quelle point notre perception de la découverte d’un nouveau pays est différente en fonction du moyen de transport.
Pour finir sur une bonne note, il ne faut pas oublier une dernière facette du pays que nous avons très rapidement deviné : le football ! C’est simple, chaque village a son terrain improvisé avec des buts construits à la main. C’est aussi bien souvent un sujet qui permet de casser un peu la barrière de la langue lors d’une rencontre avec des jeunes. Puis, on ressent aussi à travers des images ou des récits à quel point l’atmosphère semblait particulière durant la dernière Coupe du Monde et le fameux parcours de l’équipe nationale. Le pays entier paraissait vivre à travers l’exploit de leurs joueurs favoris. Nous avons pu assisté à un simple tournoi entre quartier organisé pendant le ramadan, et ça nous a tout de suite permis de comprendre l’ampleur du phénomène. Dans un gymnase plein à craquer, des dizaines de jeunes marocains étaient assis là à suivre leur équipe et on sentait une réelle effervescence dès l’entrée dans le bâtiment. Plus qu’un simple sport, le football est ici un véritable pilier du pays.
Le Maroc paraît pouvoir nous surprendre éternellement, et pourtant, nous avons appris tellement de chose déjà en si peu de temps. Cette période a été bien intense, mais, fort heureusement, Marrakech est venue s’offrir à nous comme une véritable halte !
A peine les murs de la ville franchis que nous avons été directement plongés dans l’ambiance. Ce qui surprend en premier lieu, c’est le monde. Il y a beaucoup de monde, partout. Et tout va vite, très vite. Le bruit aussi, en permanence, entre les moteurs, les klaxons, les cris… On ne sait plus où donner de la tête. Le choc avec le reste du pays est saisissant. Et ici, le code de la route est étrangement différent, il y a moins de règles, les feux rouges ne s’appliquent pas aux deux roues, les taxis se faufilent là où ils peuvent, les piétons ne semblent pas disposer à attendre l’arrêt de la circulation pour traverser…
Et quand on pensait avoir tout vu, nous sommes entrés dans la médina… Un véritable labyrinthe géant, c’est un enchaînement de petites ruelles étroites dans tous les sens. Même Google Maps ne connaît pas tous les chemins ! Et de manière encore plus impressionnante qu’en dehors des remparts, on est saisit par le monde dans la rue, en permanence, partout. On est surpris par ces innombrables scooters nous doublant à tout allure malgré le manque de place à coup de klaxon et de « Excuse me ! ». Alors ils sont bon pilotes, ça semble toujours passer, mais ça ne se joue pas à grand chose ! Au début, c’est très surprenant, puis on s’y fait, on prend le réflexe de se décaler à chaque bruit de moteur (ce qui peut arriver toutes les 15 secondes dans la médina).
Au delà de ces plus ou moins charmantes petites ruelles, la Médina abrîte la célèbre place Jamaâ El-Fna, véritable épicentre de la ville. Là-bas, tout est possible. Il y a tout d’abord des grands restaurants aux terrasses imposantes d’un style plutôt européen. Puis, en tournant les yeux, on aperçoit des vendeurs de jus de fruits avec leurs stands colorés et richement garnis. Il y a aussi des vendeurs ambulants d’à peu près toutes sortes de choses (lunettes, vêtements, tatouages, bijoux….), des musiciens toujours plus atypiques les uns que les autres ou encore des dresseur d’animaux amusant les touristes avec les acrobaties de leur singe ou l’hypnose de leurs serpents. Cette place, c’est quelque chose de grandiose, mais c’est à la tomber de la nuit qu’elle se transforme littéralement. Des restaurants ambulants s’installent au centre, avec la particularité d’être tous complètement identiques. Des tables et des bancs sous une sorte de tonnelle, des brochettes plus belles les unes que les autres pour vous attirer, et surtout, des aguicheurs très, très présents. Leurs méthodes et leur discours sont infaillibles pour vous attirer. Ce qui est certain, c’est que vous vous laisserez avoir au moins une fois.
Marrakech est aussi la ville de tous les contrastes. Après avoir séjourné dans la médina, nous avons pu être hébergé dans d’autres quartiers, au sein de ce qu’on appelle « la ville nouvelle ». Finit l’authenticité de la médina et ses particularités historiques, cette partie de la ville a comme vocation de ressembler le plus possible à une ville occidentale. Grandes avenues, bâtiments récents, enseignes célèbres, complexes résidentiels ou ensembles pavillonnaires, on retrouve tous les codes de nos cités européennes. Et quand on pensait avoir tout vu, nous avons passé quelques nuits dans la quartier appelé « la Palmerai ». C’est assez simple à décrire, il s’agit ni plus ni moins d’un énorme espace peuplé d’une poignée d’individu habitant dans des demeures avec des terrains dont on ne peut même pas imaginer les dimensions. Il peut parfois y avoir plusieurs centaines de mètres entre deux portails dans une même rue. Autant dire que ce quartier n’a aujourd’hui pratiquement plus de palmeraie que son nom.
Ce qui est sûr c’est que cette ville ne laisse personne indifférent. On peut l’aimer ou la détester, mais elle marque inévitablement !
Marrakech n’a pas été pour nous qu’une simple étape touristique. Nous sommes aussi intervenus dans le lycée français de la ville afin d’échanger avec les élèves et les professeurs sur les enjeux d’énergie et de climat. Loin de nous l’idée de se prétendre spécialiste du domaine, ce moment était surtout l’occasion de discuter de ces notions sous un angle moins formel et d’essayer de partager notre goût pour ces problématiques. Nous avons ainsi rencontrer des terminales et les éco-délégués du collège. Au programme, une introduction tout d’abord avec comme ligne directrice les éléments suivants : pourquoi sommes nous dépendant aux énergies fossiles et comment cela se matérialise au quotidien ? ; En quoi est-ce une mauvaise chose ? ; Comment le changement climatique peut-il concrétement perturber notre vie ?
L’idée est ici de bien mettre en lumière les différentes problématiques et les lien pouvant exister entre elles, mais aussi d’éveiller la curiosité des élèves en n’abordant pas ou peu les solutions pour qu’ils y réfléchissent par eux même.
Ensuite, la deuxième partie de notre intervention est plus ludique puisqu’il s’agit de la Fresque du Climat, un atelier par équipe qui consiste à bien comprendre le changement climatique au travers de différentes cartes qu’il faut lier par relation de cause à effet. C’est l’occasion pour les élèves de réfléchir entre eux et par eux même pour mieux retenir les notions et mieux comprendre les différents procéssus, mais aussi d’approcher ce sujet très anxiogène de manière plus légère.
Enfin, une dernière partie est consacrée à échanger avec eux de manière un peu plus libre sur les solutions pouvant exister pour faire face à ces problématiques, que ce soit à l’échelle des états et des entreprises ou à notre propre échelle individuelle. Nous avions pour cela préparer un comparatif entre le mix énergétique français et marocain et les différentes objectifs que se sont fixés chacun de ces pays.
Alors évidemment tous les élèves n’ont pas pu accrocher à notre intervention de la même manière, mais nous sommes très content globalement de leur investissement et de leur intérêt pour notre discours. Au delà de ces sujets techniques, nous avons aussi beaucoup échangé avec eux sur notre voyage à vélo et même plus globalement sur nos différents parcours académiques (vu le calendrier, il faut avoir en tête que les terminales sont actuellement focalisés sur leur orientation).
On espère pourquoi pas avoir suscité des vocations, que ce soit pour les voyages en itinérance ou pour travailler à l’avenir dans un domaine en lien avec l’énergie et l’environnement. Nous nous attendions à vivre une belle expérience mais elle fut encore plus enrichissante que prévu.
Au delà des élèves, nous avons aussi été parfaitement accueilli par le personnel du lycée avec qui nous avons beaucoup échangé. Certains professeurs nous ont même invités à venir partager une journée avec eux et leur famille en montagne dans la somptueuse vallée d’Ourika, un magnifique souvenir. Ils nous ont aussi hébergés une bonne partie de la semaine, alors qu’à trois avec nos vélos surchargés on ne peut pas dire qu’on n’est pas très encombrant.
Tant de souvenirs déjà dans ce pays, et pourtant, nous ne faisons que le traverser. J’ouvre les yeux et contemple à nouveau les si nombreuses étoiles qui garnissent le ciel. Tout est si calme, la faune bruyante à totalement disparue à cette heure-ci. Avant d’achever cette journée, je profite de l’instant pour réfléchir à mon état d’esprit et faire le point sur mes sensations.
Nous voilà à ce qui semble en théorie être le mi parcours de notre aventure et de notre long voyage vers Dakar. Personnellement, je prend de plus en plus de plaisir à pédaler et enchaîner les kilomètres. J’adore la manière dont le défi sportif me stimule. Si je devais mettre en avant une difficulté, ce serait pour moi davantage le fait de tenir un rythme de vie aussi particulier aussi longtemps, avec une routine aussi répétitrice et autant marquée. Au fond, les paysages varient mais chaque journée reste assez similaire avec la dernière dans le contenu et nos activités quotidiennes sont toujours exactement les mêmes.
Maintenant, il nous faut affronter le dernier massif marocain, l’Anti-Atlas, puis, rejoindre le tant attendu et redouté désert du Sahara. Une longue route nous attend encore. Il est temps pour moi d’aller me coucher et de profiter de la fraîcheur nocturne pour rentrer dans mon duvet. Je prend le temps de contempler une dernière fois les si nombreuses étoiles qui garnissent le ciel. Seul, sans aucun bruit autour de moi, je souris. Ce soir, plus que jamais, la vie est belle, j’en suis persuadé.
Merci à vous de continuer à nous suivre et nous soutenir,
L’aventure continue,
A très bientôt les Saharouleurs,
Vincent T